Chine: Google et Yahoo censurent gratis
En collaborant avec les autorités, les deux moteurs de recherche aident à la mainmise du pouvoir sur l'information. Comparatif entre Pékin et Paris.
Quelles sont les conséquences pour les quelque 120 millions d'internautes chinois, de la censure opérée par les versions chinoises des moteurs de recherche Google et Yahoo ? Libération tente de jauger l'impact de cette collaboration pernicieuse en introduisant des mots-clés choisis dans les deux moteurs de recherche, en français à Paris et en chinois à Pékin.
«Tiananmen»
Le mot déclenche sur le Google chinois une avalanche de cartes postales publiées par le Quotidien du peuple montrant la place et le portrait de Mao sous leur meilleur jour : fleurs, ciel bleu ou feux d'artifice (voir ci-contre). A l'opposé, à Paris, Google nous conduit vers les photos des manifestations lors du mouvement prodémocratique de la place Tiananmen en juin 1989 et vers l'image omniprésente du jeune bravant une colonne de chars. Yahoo Chine apporte une moisson comparable, à Pékin comme à Paris, mais n'a pas l'honnêteté d'annoncer que les requêtes de son moteur de recherche sont censurées. Sur le Google chinois en revanche, figure en bas de chacune des pages un avertissement en caractères fins non signé, mais dont l'auteur est sans doute Google, qui explique : «Conformément aux règles, directives et lois locales, une partie du contenu ne peut être montrée.»
«Wei Jingsheng»
Sur Google Chine, le plus célèbre des dissidents chinois (il vit en exil aux Etats-Unis) ne recueille que six images vantant un club de golf de Pékin. Le dissident a en effet un homonyme qui est un coach de ce sport. Mais aucune trace de l'opposant Wei, bien plus présent sur la version française de Google Images, avec 381 apparitions. Yahoo Chine pour sa part mène d'emblée le lecteur sur le site officiel Globalview.cn, très critique à l'encontre du dissident, tandis que Yahoo France renvoie sur les pages d'Amnesty, du Monde diplomatique ou encore vers la Fondation Wei-Jingsheng, qui défend les droits de l'homme.
«Droits de l'homme»
Sur Google Images Chine, on tombe sur la couverture d'une revue officielle, Droits de l'homme, montrant l'ex-numéro 1 du PC, Jiang Zemin, serrant la main à des soldats. On obtient les mêmes résultats avec Yahoo Chine. En France, la recherche sur le même sujet aiguillonne vers la déclaration de 1789, la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ou encore le site de la Ligue des droits de l'homme.
«Homosexuel»
L'homosexualité n'est plus vraiment un tabou pour les autorités chinoises, qui ont décrété voilà quelques années que les homosexuels ne sont pas des «malades mentaux». En Chine, Yahoo Images présente la photo d'une association homosexuelle chinoise visitant la Grande Muraille. Une photo moins osée que celles diffusées par la version française du moteur de recherche, plus friande d'étreintes. Yahoo, comme Google, signalent le site Gaychinese.com. Mais celui-ci était inaccessible hier à Pékin, peut-être en raison d'une censure résiduelle du réseau par la police chinoise de l'Internet. De manière générale, la censure opérée par Pékin, qui se superpose à celle des moteurs de recherche, semble moins stricte à l'égard de sites à contenu pornographique que pour ceux à contenu ouvertement dissident, religieux ou traitant de la situation des droits de l'homme dans le pays.
«Dalaï-lama»
Pour les internautes chinois, il n'existe presque plus. Une seule photo du chef spirituel du Tibet apparaît lorsqu'on tape son nom sur le Google chinois, quand la même recherche donne 42 600 réponses en France. La recherche texte, en Chine, ne livre que des dénonciations de «l'attitude séparatiste» du dalaï-lama publiées par la presse officielle. En France, parmi les premiers résultats figure le site Tibet-info, qui demande le retrait de «l'occupant chinois» du Tibet. D'autres liens pointent vers des biographies rappelant notamment que Tenzin Gyatso, le 14e dalaï-lama, a obtenu le prix Nobel de la paix en 1989.
«Mao Zedong»
Sur les moteurs chinois, un tsunami d'images du grand timonier, toutes plus officielles les unes que les autres, fracasse l'écran. En texte, le Quotidien du peuple et l'agence Chine nouvelle rivalisent pour apporter une foison d'articles portant sur la bibliothèque de sa ville natale, le 110e anniversaire de sa naissance. La biographie de Mao écrite par Jung Chang, très critique, est absente. Alors qu'en France les moteurs pointent vers des sites où l'on peut acheter le livre, ainsi que sur le site Dictatorofthemonth.com !
http://www.liberation.com/page.php?Article=359575
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